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Les grands noms du Moyen Âge

Oakenshield

© Ysleas, 2016

G. R. R. Martin est l'auteur de plusieurs préquels au Trône de Fer, des histoires qui se situent environ 90 ans avant. Parmi ceux-ci, il y a la saga A Knight of the Seven Kingdoms, parue entre 1999 et 2010 en anglais, disponible en français en un seul volume depuis 2015 sous le nom Chroniques du chevalier errant. Cette saga compte trois récits : Le Chevalier errant, L'épée lige et L'œuf de dragon.

 

Ces chroniques racontent les aventures du chevalier errant nommé Dunk, jeune adulte d'origine obscure, surnommé ser Duncan le Grand par les autres chevaliers, et de son écuyer l'Œuf, jeune garçon de sang royal doté d'une connaissance infaillible de l'héraldique.

 

Un certain nombre de personnages, souvent secondaires, de cette saga portent des prénoms qui rappellent de grandes figures légendaires de notre Moyen Âge ou de notre littérature romantique. Les héros et héroïnes des deux traditions médiévale et romantique se recoupent souvent par ailleurs, puisqu'à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle les écrivains aiment à faire revivre les personnages au grand cœur pris dans des histoires épiques, tragiques ou même comiques. Pensons par exemple à sir Walter Scott (1771-1832) qui fait revivre Ivanohé et Robin des Bois, à James Macpherson (1736-1796) qui traduit et réécrit l'épopée du guerrier Fingal composée par le barde légendaire Ossian, ou encore à  W. A. Mozart (1756-1791), qui produit l'opéra Don Giovanni. Les auteurs de fantasy du XXe siècle reprendront eux aussi les héros du passé, le roi Arthur par exemple.

 

Les premières lignes du Chevalier errant ne sont d'ailleurs pas sans rappeler Ossian : "Les pluies de printemps avaient amolli le sol, si bien que Dunk n'avait aucun mal à creuser la tombe. Il avait choisi un emplacement sur le versant ouest d'une colline : l'Ancien avait toujours aimé voir le soleil se coucher." (p. 11). Dunk, le héros, enterre son maître ser Arlan de Pennytree, qui l'avait pris comme écuyer puis adoubé avant sa mort. Ici comme dans les poèmes d'Ossian, nous lisons des récits d'enterrement de guerriers sur des collines, au beau milieu de la nature parfois clémente, ensoleillée, parfois impitoyable, avec la pluie ou la neige.

 

On note aussi dans Le Chevalier errant l'amour de l'auteur pour les joutes et les tournois, spectacles courtois et dangereux à la fois qui masquent parfois des enjeux politiques importants. Ces joutes tiennent une place centrale dans les Chroniques. Martin a donc d'illustres prédécesseurs dans cette voie et sa saga du Chevalier errant m'a paru un bel hommage à toute cette littérature médiévaliste par ses références.

 

Venons-en à ces personnages dont les noms sont des clins d'œil à d'illustres héros de la littérature médiévale et médiévaliste française, anglaise et même germanique. J'utiliserai ici la pagination des éditions suivantes : George R.  R. Martin, Le Chevalier errant suivi de L'épée lige. Préludes au Trône de fer, Paris, J'ai Lu, 2008, et L'œuf de dragon, Paris, Pygmalion, 2014, vu que je les ai achetés avant la parution des Chroniques en un seul volume. Ma liste ne prétend pas être exhaustive ou définitive, et relève d'une interprétation libre, non confirmée à ma connaissance par des propos de G. R. R. Martin. C'est seulement un amusant jeu de piste littéraire.

 

-Abelar Hautetour (Abelar Hightower en v.o.) apparaît dans Le Chevalier errant et perd une joute contre le prince Valarr Targaryen (p. 58-60). Il faut noter que nous trouvons des informations internes à la saga sur tous ces personnages dans l'encyclopédie en ligne de La Garde de Nuit.

Il peut s'agir ici d'un clin d'œil au théologien et philosophe français Pierre Abélard (1079-1142). Ce dernier est connu pour son histoire d'amour tragique et passionnée avec Héloïse d'Argenteuil, que nous retranscrivent les Lettres échangées par les deux amants. Le nom Hightower peut être une allusion aux hauteurs intellectuelles de la pensée construite d'Abélard, qui est l'un des plus grands philosophes scolastiques.

 

-Duncan le Grand (Duncan The Tall en v.o.) est le personnage principal de la saga du chevalier errant. C'est un surnom choisi pour la joute, il s'appelle en réalité simplement Dunk (p. 27-28 du Chevalier errant). Le surnom évoque Duncan 1er, roi d'Ecosse de 1034 à 1040, assassiné par Macbeth dans la pièce de Shakespeare (1564-1616).

 

-Gawen de Swann (identique en v.o.) apparaît dans Le Chevalier errant et perd une joute contre le prince Valarr Targaryen (p. 61-63). Il a pour armoiries deux cygnes, l'un blanc, l'autre noir, respectivement sur fond noir et fond blanc. Son nom évoque Gauvain, Gawain en anglais, chevalier de la Table Ronde que l'on retrouve dans les romans qui racontent les aventures de Perceval.

 

-Jehan le Ménétrier (John the Fiddler en v.o.) est le pseudonyme de Daemon Feunoyr, prétendant à la couronne, qui veut renverser le roi Aerys I Targaryen dans L'œuf de dragon. Un ménétrier, ou ménestrel, est un violoniste qui joue pendant les mariages. La traduction de John par Jehan me fait penser au Maistre Jehan d'Escosse, personnage utilisé par Rabelais (1494-1553) pour ridiculiser le théologien Jean Duns Scot (1266-1308), dont la subtilité argumentative était devenue célèbre. Voici le passage rabelaisien : "Ne croyez pas que la béatitude des héros et des demi-dieux qui sont aux Champs Elysées tienne à leur asphodèle, à leur ambroisie ou à leur nectar comme disent les vieilles par ici. Elle tient, selon mon opinion, à ce qu’ils se torchent le cul avec un oison ; c’est aussi l’opinion de Maître Jean d’Ecosse." (Gargantua, chapitre 13).

 

-Manfred Dondarrion (identique en v.o.) est un chevalier antipathique qui refuse de se porter garant pour Dunk au tournoi de Cendregué (p. 46 du Chevalier errant). Il y avait un roi de Sicile nommé Manfred 1er qui régna en 1258 avant d'être excommunié. Il a été immortalisé par Dante Alighieri (1265-1321) dans la Divine comédie (Purgatoire, chant III). Manfred est aussi un poème dramatique de l'écrivain Lord Byron (1788-1824), qui raconte l'histoire d'un homme tourmenté après le meurtre de sa bien-aimée.

 

-Parsifal de Caron (Pearse Caron en v.o.) apparaît dans Le Chevalier errant et perd une joute contre Leo Tyrell (p. 61-63). Il est décrit comme un "harpiste, chanteur et chevalier de renom". Il a une harpe d'argent comme armoirie et des rossignols peints sur son manteau. La v.f. Parsifal n'a peut-être qu'un lointain rapport avec le nom Pearse original. Il est drôle de constater que le nom Parsifal, utilisé ici comme francisation de Pearse, vient en fait de Richard Wagner, qui reprend lui-même Parzival, ce dernier étant la germanisation du... Perceval français (ou anglais). Perceval le Gallois est un chevalier de la Table Ronde, au service du roi Arthur, qui recherche le Saint Graal selon l'écrivain Chrétien de Troyes (1130-1180). Parzival est la version germanique, écrite par le poète Wolfram von Eschenbach (1170-1220). Parsifal est l'opéra de Wagner (1813-1883) qui reprend cette même légende. La harpe et le rossignol du personnage de Martin est peut-être une allusion aux versions poétiques et musicales de la légende de Perceval.

 

-Robyn Rhysling (identique en v.o.) apparaît dans Le chevalier errant et joute contre Leo Tyrell (p. 64). Il perd ce combat. Il est surnommé "le Borgne" à cause d'une blessure lors d'un précédent tournoi. Il est décrit comme "un vieux chevalier grognon à la barbe poivre et sel". Robyn évoque Robin des Bois, le célèbre archer qui volait aux riches pour donner aux pauvres. Il est fait mention du personnage dès le XIIIe siècle, et on le trouve aux côtés d'Ivanohé dans le roman de Walter Scott.

 

-Roland Crakehall (identique en v.o.) intervient à la fois dans Le Chevalier errant (p. 37) et L'œuf de dragon (p. 168-170). Il est membre de la Garde Royale, les manteaux blancs, les sept chevaliers prestigieux chargés de la protection du roi. Son prénom et son rôle rappellent Roland le preux (736-778), chevalier franc et neveu de Charlemagne, mort à la bataille de Roncevaux selon la légende. Son épopée est rapportée dans la Chanson de Roland au XIIe siècle.

 

Post-Scriptum sur Brynden Rivers :

Brynden Rivers est la Main du Roi dans la saga du Chevalier errant. Il est surnommé Freuxsanglant (Bloodraven). C'est un homme très puissant, qui a des points communs importants avec... Elric des dragons. Ce dernier est le personnage principal de la saga Elric écrite par Michael Moorcock (né en 1939), un autre grand auteur de fantasy. Rivers est Main du Roi, Elric empereur de Melniboné. Les deux sont albinos, pratiquent la sorcellerie, possèdent une épée noire, vivent un amour malheureux avec un membre de leur famille : sa demi-sœur Shaïra Astre des Mers pour Rivers, sa cousine Cymoril pour Elric. Ainsi, le personnage de Brynden Rivers créé par Martin est peut-être un hommage au personnage d'Elric créé par Moorcock, comme je l'ai lu sur plusieurs forums et blogs. Il est aussi parfois rapproché de Kullervo, dans l'épopée finlandaise du Kalevala, et de Túrin Turambar, dans le légendaire de J. R. R. Tolkien (1892-1973). Je ne développerai pas cela ici. Cependant, Moorcock n'a pas tellement rendu à Martin son hommage supposé, puisqu'il a dit :  "Même si j’ai du respect pour George Martin, il faut reconnaître qu’il n’écrit que des romans historiques avec un soupçon de fantasy." (interview des Inrocks du 2 décembre 2012).

 

Syderen

 

Bibliographie des livres cités :

 

-Abélard et Héloïse, Correspondance, Paris, Gallimard, 2000.

-Anonyme, La Chanson de Roland, Paris, Gallimard, 2005.

-Lord Byron, Manfred, Paris, Allia, 2013.

-Chrétien de Troyes, Perceval ou le Roman du Graal, Paris, Gallimard, 1974.

-Dante Alighieri, La Divine Comédie, Paris, Flammarion, 2010.

-Wolfram von Eschenbach, Parzival, Paris, Honoré Champion, 2010.

-James Macpherson/Ossian, Fragments de poésie ancienne, Paris, José Corti, 1990.

-George R.  R. Martin, Le Chevalier errant suivi de L'épée lige. Préludes au Trône de fer, Paris, J'ai Lu, 2008.

-George R.  R. Martin, Chroniques du chevalier errant, Paris, Pygmalion, 2015.

-George R.  R. Martin, L'œuf de dragon, Paris, Pygmalion, 2014.

-Michael Moorcock, Elric des dragons, Paris, Pocket, 2005.

-François Rabelais, Gargantua, Paris, Gallimard, 2004.

-Walter Scott, Ivanohé, Paris, Le Livre de Poche, 2011.

-William Shakespeare, Macbeth, Paris, Flammarion, 2006.

-Richard Wagner, Parsifal, Paris, Premières Loges, 2003.

Ossian et Malvina,

par J. P. Krafft, 1810

Manfred on the Jungfrau, par John Martin, 1837

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